"Hommes/femmes politiques, journalistes au petit pied, philosophes du dimanche ou stars à la ramasse: tous sèment des perles de bêtise, sans se douter que, dans l'ombre, l'autruche les note, les commente, s'en gausse, et recrache le tout sur ce blog."

Mai 2010

Yves qui ?

Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Radin comme pas un, Alain Minc distillait l’autre soir ses conseils en matière d’économie. Il proposait, entre autres choses, que « les très vieux paient leurs frais de santé », ou qu’ils soient imputés à leur patrimoine, voir à celui de leurs ayants droit. « J’ai un père qui a 102 ans », expliquait le bouffon du prince, « il a été hospitalisé quinze jours : la collectivité a dépensé 100 000 euros pour soigner un homme de 102 ans. » Et alors ?, serait-on tenté de lui répondre. Minc aurait-il préféré qu’on laisse crever son paternel ? Par ailleurs, renseignements pris, ce chiffre n’est que pure fantaisie : même en admettant que Minc père ait été hospitalisé dans un service de pointe, les frais n’auraient pu dépasser les 25 000 euros. « J’ai délibérément pris un chiffre qui frappe », se justifiait alors celui qui nous prend pour des manches. Moralité : l’éminence grisâtre de Sarko, l’homme qui murmure à l’oreille du président et des marchés, peut balancer n’importe quel chiffre à propos de n’importe quoi, on continue de l’écouter, pire, de le prendre au sérieux. Pensiez-vous que la politique économique du pays se faisait à Bercy ? On sait maintenant qu’elle se décide dans l’arrière-cour bouseuse d’une baraque de foire.
 
     Plus loin, entre l’homme-tronc et la femme à barbe, le phénomène Baroin exhibe ses ergots et ses crocs de jeune chien fou. Le tout à fait frais ministre du budget se prononce contre une baisse du salaire des ministres, ah oui tout à fait. Ce serait, selon lui, une décision « purement démagogique. » Bin voyons, eh, n’oublions pas que c’est de l’épaisseur de son portefeuille dont il cause.  Quant à son collègue Luc Chatel, ci-devant porte-parole du gouvernement, il nous explique doctement que « baisser le salaire des ministres impliquerait, par ricochet, de baisser celui de tous les agents de la fonction publique. » On en était à se demander comment pouvait bien s’expliquer cette curieuse relation de cause à effet, quand la mémoire nous est revenu : façon de parler, car en fait on n’a pas souvenance que, lorsqu’en 2007 l’histrion de l’Elysée s’était auto-augmenté de près de 140 %, le salaire des fonctionnaires ait augmenté d’autant. Ce qui vaut dans un sens ne vaudrait donc pas dans l’autre ? Ce n’est pas une nouveauté.
 
     Pas une nouveauté non plus, le delirium tremens qui agite les « jeunes pop », mouvement de la jeunesse sarkozyenne où bleu marine et vert bouteille s’encanaillent en de furieux feux de camp et massacrent à la guitare les tubes d’Yves Duteil — Yves qui ? Passons. Dernièrement, ces jeunes gens pleins de sève ont rendu publiques leurs propositions concernant la réforme des retraites. Festival : il s’agirait d’abord de « mettre un terme à tous les régimes spéciaux qui demeurent », puis de « favoriser le développement des systèmes optionnels par capitalisation » (traduction : terminé la répartition, vive les riches et à mort les pauvres), développement qui bien sûr rendrait « indispensable d’aligner le public sur le privé. » On voit qu’ils se sont gravement fouillés les neurones, nos boy-scouts ! Du pur copié-collé échappé d’un antique programme thatchéro-reaganien de base, ah elle est jaunie, la joliesse !
 
     Tout aussi jauni le sieur Fillon n’en fini plus de distiller ses mauvaises nouvelles. La rigueur ? « Je m’en contrefous », s’énervait-il l’autre jour. Facile à dire, vu de Matignon, c’est pas ses fesses à lui qui se prennent les coups de latte. Mais c’est qu’il s’agit avant tout de « rassurer les marchés », lesquels ont des suées-et-ça-c’est-pas-bon-pour-l’euro. Autrement dit, chère Elodie, afin que les traders aux petits pieds cessent de se faire de bêtes frayeurs — ce que c’est poltron, tout de même —, va falloir que tu bosses jusqu’à 75 ans. Tel est le prix, les enfants, car le salut ne peut venir que des sacrifices consentis à votre auto-exploitation. Le salut, en tout cas, ne risque pas de venir du Parti Socialiste, lequel, par la voix de sa première secrétaire, défend « la retraite choisie », drôle d’idée, mais idée pas drôle. On aurait donc le choix ? A choisir, l’autruche préférerait la prendre tout de suite, sa retraite, tant que ça existe encore. Mais non. « Retraite choisie », pour Aubry, signifie qu’on pourra, sous le règne éclairé du Parti, décider de travailler plus longtemps si on veut. Arf. Bande de fielleux filous.
 
     Et tandis qu’opposition et majorité s’interrogent sur la meilleure façon de nous niquer la gueule, Sarkozy se promène au milieu des champs de fraises. Si si. L’histoire ne dit pas qui s’est chargé de les lui sucrer, mais notre national nabot s’est fendu d’un voyage dans le Lot-et-Garonne à la rencontre des producteurs de Tagada tsoin tsoin. Voyage éclair évidemment, lui laissant juste le temps de regretter qu’on ait souvent « traité l’agriculture d’une façon folklorique », et de s’empresser de préciser qu’il fallait « cesser de dire que vous êtes des agriculteurs, vous êtes des entrepreneurs, voilà. » Voilà ? A ce qu’il semble, les agriculteurs en question auraient moyennement apprécié.
 
     Puisqu’on parle de culture, faisons donc un petit détour par le ministre du même nom. Frédéric Mitterrand, que la rigueur et les fraises n’intéressent pas plus que ça, demeure concentré tout à fait sur le sort de son pote Roman Polanski. «Aujourd’hui, mon devoir est de ne rien dire », nous dit cependant Mitterrand. «  Silence, oui », ajoute le poète, « mais mon silence à moi. » Et comme décidemment ce grand silencieux ne peut s’empêcher d’ouvrir sa bouche à tort et surtout de travers, il s’achève, en cette saillie : « le silence peut être une parole très forte. » Ah oui ? Chiche !
 
     Ajoutez à cela le rocambolesque retour en sa patrie de Clotilde Reiss, James Bond girl franchouillarde aux airs de pieds nickelés et contre laquelle il fut vulgairement échangé quelques assassins iraniens, regardez la vieille garde des nostalgiques de l’Algérie Française défiler, à Cannes, pendant le festival, contre un film se permettant d’évoquer les massacres de Sétif (le premier dans son genre, et qui d’ailleurs, à Cannes, ne fut récompensé par rien), écoutez ces vieux cons remontant la croisette, drapeau bleu-blanc-beurk dressé, et critiquer un film qu’ils avouent ne pas avoir vu, bref, ouvrez un journal, et dès lors ne vous étonnez pas de voir éclore quelque chose comme les apéros géants, le besoin de se retrouver sous un prétexte quelconque, et de se souler la gueule histoire d’oublier, un instant, le merdier tout autour. Aussitôt les chiens de garde du Sarkozystan bien-pensant cherchent à encadrer, interdire, vider de leur sens ce qui ressemble à une menace. Mais là-dessus, nous reviendrons.
 
                                                                                               Frédo Ladrisse.


C’est fait, Monsieur le préfet

Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? L’inénarrable Morano qui, pour les trois ans de l’arrivée de son mentor Sarko au pouvoir, est bien seule à chanter ses louanges. Mais la petite Nadine, comme la surnomment ses pairs, ne s’économise guère : la « Vrp chantante du sarkozysme » (dixit Le Monde)  s’époumone et tire de sa lyre une ode assez surréaliste. « Lorsque j’entends le président en conseil des ministres, il a une telle vision géopolitique… Il faudrait que tout le monde puisse voir ça. On a de la chance, il faut le dire. C’est dingue ! » Dingue, oui, tout à fait, d’accéder à de tels sommets en matière de lèche. La petite a ainsi été jusqu’à distribuer de ses mains le livret consacré à la gloire du chef, et sobrement intitulé « trois ans d’action ». Oyé, en voilà un titre bien glamour. Nadine avait auparavant pris soin de surligner les passages importants de l’officiel bréviaire. « Mais je connais tout ça par cœur », s’exclamait la gourdasse, « et je peux vous dire, ce livret, c’est bien, mais il en manque ! » On n’en doute pas, Nadine : difficile, en effet, d’énumérer en soixante pages les noms de tous les expulsés, de toutes les garde-à-vue abusives, des salariés privés d’emploi, des chômeurs en fin de droit… Sarko, dans les sondages, plonge à près de 70% d’opinions négatives — battant ainsi le record du plus mauvais score de l’histoire de la cinquième république ? Qu’importe, pour le soldat Morano, il ne s’agit que d’un « malentendu. » « Il faut mieux expliquer ce qu’on fait aux Français », estime la pasionaria. Non contente, au passage, de nous prendre au pire pour des cons, au mieux pour des malentendants, Morano oublie par ailleurs une réalité simplissime: si les Français rejettent en bloc Sarko et son système, c’est justement parce qu’ils ont parfaitement compris ce qu’ils font.
 
     Sa permanence, à Toul, est paraît-il ornée d’une photo dédicacée : « à notre Nadine Morano, inégalable et dont je suis fier. » Qui signe l’éloge, Sarko himself ? Que nenni. Il s’agit de Bigeard, le général, qui en plus pose en treillis, bardé de son bazar à médailles. Ces gens-là ont de ces amis…
 
     Chez les fidèles d’entre les fidèles, le Sarkoland, heureusement pour lui, ne compte pas que la petite Nadine. On y trouve du plus lourd, en la personne d’Hortefeux-nec. Plus ultra, que lui (ah ah), y’a pas. Aussi en est-il remercié très chaleureusement par le Patron lui-même, pour qui « dix générations de journalistes ne pourront pas nous fâcher. » Nous voilà bien, tiens, si Sarko se met à croire en sa propre immortalité, ainsi qu’en celle de son ministre de l’intérieur… On en reparlera, dans dix générations d’autruches.
 
     Mais laissons de côté un temps les remugles putrides des marécages sarkolandais, pour revenir à l’actualité, la vraie. La Grèce, en l’occurrence. Cette Grèce à qui ses « partenaires » de la zone euro s’apprêtent à prêter de l’argent selon un circuit bien arrêté : ils l’emprunteront à 3%, et le prêteront aux Grecs, à hauteur de 5% d’intérêt. Bénéfice net pour les prêteurs, en particulier pour les banques ? Je vous laisse calculer, je n’en ai pas le cœur. Pour le reste, tout va pour le mieux, le peuple est en colère, les spéculateurs spéculent, les gouvernants attisent les braises d’un feu auprès duquel ils comptent bien réchauffer leurs vieux os puants, un feu qui a pour nom dérégulation à outrance. Bref, chacun est dans son rôle, au sein d’une tragédie digne de Démosthène — je dis ça c’est juste pour flamber, je sais pas qui est ce gars. N’empêche : suite à la manif’ de mercredi, avec ses trois morts à la clef, les médias franchouillards ont mis les bouchées doubles. Florilège : « la Grèce à feu et à sang », « Athènes livrée à la violence », et bien sûr l’inévitable « l’anarchie règne dans les rues de la capitale grecque. » Ceux qui, en 2005, se plaignaient du traitement réservé à la France lors des émeutes en banlieue — quand le Times titrait « Paris is burning », avec un montage photo et en couverture s’il-vous-plaît, montrant la tour Eiffel en flamme —, les mêmes, en font donc des tonnes sur la Grèce. Ce qui sert, comme on sait, un discours très identifié, que nos maîtres se sont empressés de nous délivrer, en fait, le jour-même. « La crise grecque est un révélateur, elle doit nous persuader que nous avons le dos au mur », affirmait Arthuis le sénateur. L’opportunité était trop belle, de faire passer dans l’urgence et en force leurs saloperies de mesures d’austérité. Aussi, pour éviter à notre pays de basculer dans la violence, le sage Fillon a décidé de « geler les dépenses de l’état de 2011 à 2013 », de « poursuivre la politique de non  remplacement dans la fonction publique » et autres joyeusetés ressortissant clairement d’un projet libéral, arrêté de long temps. Encore ne s’agit-il que d’une première offensive — laquelle tombe, comme c’est étrange, en plein débat sur les retraites —, et sous peu on nous expliquera qu’afin de ne pas « sombrer comme les Grecs dans l’anarchie », il est impératif d’enterrer la Sécu, urgent de supprimer ce qu’il reste de l’ISF, et de privatiser les égouts de Paris. C’est ça ou le chaos, c’est tout. Dans le même temps on pérennisera le bouclier fiscal, on évitera d’inquiéter les banquiers et autres traders lesquels, comme on sait, sont les forces vives de la nation, de ces forces qui, elles, comptent — ça, pour compter… Mais cessons-là : de semaine en semaine, le sarkozysme confirme sa volonté malade d’appliquer, coûte que coûte, le schéma de la contre-révolution néoconservatrice telle qu’elle fut formulée il y a quarante ans par Thatcher et consorts. Les conséquences ont beau s’amplifier sur le terrain social, aucune réaction ni résistance d’envergure ne semble vouloir se mettre en place. A croire que l’espoir a vécu… Séquence guimauvesque, à vomir.
 
     « l’apprentissage de la règle, le respect de l’autorité et le goût de l’effort » : tel sera le socle sur lequel viendra s’appuyer les « établissements de réinsertion scolaire », nouveaux internats à la dure que Sarko-la-schlague veut mettre en place. Ils seront « réservés aux élèves perturbateurs. » Qu’est-ce qu’un élève perturbateur, selon l’élyséen kapo ? Un élève qui aura été « exclu au moins une fois. » Le moins qu’on puisse dire c’est que ça risque de faire du monde, autant réhabiliter tout de suite les casernes laissées vides, par dizaines, sur le territoire, et les transformer en collèges ! Parallèlement sera votée une loi suspendant les allocations familiales en cas d’absentéisme (autre mesure purement démago qui, appliquée en Angleterre depuis les années 90, a été finalement abandonnée là-bas, car les gamins, du coup, on ne les revoyaient plus en cours), enfin, pour saupoudrer le tout d’une bonne dose de libéralisme, Sarko a annoncé « une nouvelle gestion des ressources humaines dans une centaine d’établissements », situés en zones sensibles. Traduction : « le chef d’établissement aura le droit de recruter sur profil des enseignants. » Il ne s’agit, pour l’heure, que d’une expérimentation. Mais « si elle est réussie, nous l’étendrons à la rentrée 2011. » Ça a l’air de rien dit comme ça, mais c’est tout simplement la mort annoncée du statut de prof, la mise en concurrence des enseignants, des établissements, des élèves, la privatisation, à terme, de l’éducation nationale. Si vous en doutez, amis profs, continuez à ne plus faire grève parce que ça vous coûte de l’argent, et on en reparle en 2011, quand vous serez contraints de courir d’un entretien d’embauche à l’autre.
 
     Sinon : l’enfant handicapé expulsé cette semaine par les services d’Eric Besson se porte toujours aussi mal, merci. La trentaine de flics et de gendarmes dépêchés à son Institut d’Education Motrice afin de le sortir de sa chambre et le flanquer dans l’avion se sont bien occupés de lui, « avec cœur et humanité. » Après avoir passé une bonne nuit de sommeil dans un centre de rétention et pris un solide petit déj’, il a embarqué direction son Kosovo natal. Gravement malade, âgé de 15 ans, polyhandicapé.
 
Sinon : le « mur des expulsés », fresque peinte sur les murs de Billère, commune des Pyrénées-Atlantiques, et qui rappelait justement le souvenir des enfants expulsés ces dernières années, à été recouverte, hier, le 8 mai comme par hasard. Le maire de Billère faisait l’objet d’attaques violentes, par le biais d’internet, de la part de groupes d’extrême-droite, notamment le Bloc Identitaire. Le tribunal administratif avait finalement demandé à la mairie d’effacer la fresque en question, au prétexte qu’elles ne « respectait pas la neutralité des édifices publics. » La bonne blague… Le maire ayant refusé, c’est le Bloc Identitaire qui s’est chargé de l’effacement, en ajoutant cette phrase : « c’est fait, Monsieur le préfet. » Ce que les nazillons peuvent se montrer obséquieux, à l’égard des représentants de l’Etat, dès lors qu’ils partagent leurs idées…
 
                                                                                            Frédo Ladrisse.


Puisque le coin est dans la bûche, ronéotypons, camarades, de furieuses affichettes !

Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Soupirs de désolation, peine et consternation tellement nous étions peu nombreux lors de ce sinistre premier mai. Cortège étriqué à outrance dans les rues de Paris, 60 000 gueux au mieux sous la grisaille et la mitraille des flashs touristiques : il faut croire que nous continuons d’apparaître so french, et finalement si pittoresques.  Ça traînait des pieds et des gueules, dans la tranchée funeste du boulevard Saint-Martin, armée défaite avant d’avoir véritablement combattu. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été prévenus : la réforme des retraites  — euphémisme sirupeux qu’on serait bien inspiré de traduire par « nouvelle offensive dans la guerre de destruction massive que mène le capitalisme contre le genre humain », merde faut appeler un rat un rat ! —, la réforme des retraites, donc, on va se la manger grave et en pleine trombine, à la rentrée prochaine. L’inénarrable Raymond Soubie, conseiller écouté du maître du Château, l’a clairement claironné dès le premier mai au soir : ladite réforme « ne sera pas un chemin de roses », a indiqué celui qui, en matière de casse sociale, fait office de grand vizir. Et d’enchaîner comme il se doit sur « des chiffres en net retrait par rapport aux manifestations précédentes », preuve selon lui qu’ « une large partie des Français considèrent qu’une réforme est inéluctable. » Vu comme ça, c’est évident... Cependant, à force de n’écouter, selon la formule de Villepin, que les gens qui ne défilent pas, on fini par devenir sourd. Le risque est alors, pour l’Iznogoud, de ne rien entendre venir et de se retrouver un jour quelque peu étonné par une populace qui n’a que faire de ses brioches. Pour l’heure, rien qu’à l‘idée du bon sommeil qu’a procuré aux Sarkozy, aux Fillon et autres Soubie ce premier mai raté dans les grandes largeurs, l’autruche en perdrait (presque) le sien. Elle le perd définitivement lorsque Thibault de la cégète parle, lui, de « participation honorable. » Ce que le déni de réalité peut parfois vous pousser à dire… Et son pote Chérèque de renchérir : « il ne faut jamais faire du premier mai un test social. » Ah bon. Ah oui ? Nul doute, dans ce cas, que l’autruche ne prendra pas la peine de s’extirper de son douillet nid, le premier mai prochain.
 
     Et tandis que de ce côté de la Méditerranée on avale couleuvres et boas destructors comme autant d’orvets d’élevage, la Grèce, elle, a un train d’avance, jetée sans ménagement dans la fosse à serpents. En signant un accord avec le Fmi c’est sa perte qu’elle signe, bien sûr. Mise en coupe réglée comme, fut un temps, l’Argentine — mais ce n’est jamais qu’un exemple —, elle vient de s’offrir la pelle avec laquelle il faudra bien qu’elle creuse sa propre tombe. Une fois de plus est démontré, s’il en était besoin, que l’histoire du racket mondial a beau se répéter cela ne sert à rien puisque les Etats, quels qu’ils soient, sont définitivement dépourvus de mémoire. Fort heureusement, les peuples en ont. Aussi n’est-il pas certains que les Grecs acceptent sans broncher les « sacrifices durs, mais nécessaires, les mesures douloureuses » ainsi que la « grande épreuve » que leur promet Papandréou, le premier ministre socialiste. Gel des salaires et des pensions, baisse des revenus des fonctionnaires, relèvement (tiens tiens) de l’âge légal de départ en retraite, hausse de la TVA, l’impôt le plus injuste qui soit ; réduction à peau de chagrin des investissements publics, j’en passe et des sévères, dont la hausse, quel scandale !, des taxes sur l’alcool et le tabac, à hauteur de 10% !... Nul doute que la Grèce se prépare des heures lourdes. D’autant que, dans le même temps, aucun effort particulier n’est demandé au patronat, ni même aux banques qui sont pourtant à l’origine de la faillite. Ajoutons que le naufrage grec n’est jamais que le premier d’une longue série en Europe — devraient suivre, dans les mois à venir, le Portugal et l’Espagne —, et on en conclura en un mot comme en mille que pour les instances type Fmi ou banque européenne, la crise n’est jamais que l’occasion inespérée de mettre à bas ce qui reste de droits, de protection sociale et de services publics dans les pays de la vieille Europe. De leur imposer, à tous, la dérégulation sauvage telle qu’elle fut programmée par ces mêmes instances, il y a plus de trente ans. Maintenant le coin est dans la bûche. Il ne peut que s’y enfoncer.
 
     Changeons de focale, tiens, passons de l’infiniment dégueu au tout petit gerbant : Charles Pasqua, une fois de plus, échappe aux plumes et au goudron. Jugé pour moults malversations et autres magouilles bien de chez lui, finalement le mafieux évitera la tôle. On y a cru, un temps, lorsque l’avocat général a requis contre lui quatre ans de prison, dont deux fermes. Jugement, au final : un an avec sursis, ah ah, mais quel matou ce Pasqua ! « Les accusations de corruption ont disparu », pérorait-il au sortir du tribunal, « comment peut-on imaginer que je me sois laissé corrompre ? » Au risque de l’attrister, on l’imagine très aisément. Puis, tel le malfrat de base habitué à ce genre de péripéties, Pasqua, toujours bonhomme, concluait en se marrant « ce n’est qu’une condamnation de plus. » La justice de classe a donc, une nouvelle fois, prouvé son efficacité en protégeant un de ses pairs et en me privant, accessoirement, de la joie de voir l’affreux Charlot tâter du cachot, quelques semaines, ne serait-ce qu’en mémoire d’un certain Malik Oussekine, dont nous sommes plus nombreux qu’on ne croit à nous souvenir encore.
 
     Un autre, qu’on avait par contre et volontairement oublié, c’est le gars Besancenot. Empêtré dans un Npa qui ne décolle pas et se boyscoutise à outrance (faut coller des affiches, les gars !), naviguant à vue, sans projet autre que celui de recruter (faut, les gars, ronéotyper de furieuses affichettes!), le voilà qui se vend, telle une marchandise faisandée, aux socialistes sur lesquels il crachait, avec abondance, il y a quelques semaines encore. « Martine Aubry est la bienvenue à nos côtés », explique celui qui avait fait de l’accord avec le Ps la ligne rouge à ne pas franchir. Depuis, le Npa s’est ramassé gravement lors des élections régionales. Ceci expliquant cela, le voilà donc qui tend ses fesses aux infréquentables d’hier. Belle leçon de realpolitik, qui montre si besoin en était que le Npa n’est jamais qu’un parti comme un autre, ce dont doutaient peut-être les militants de base, ceux qui ronéotypent et collent quoi ? Les affichettes, les gars.
 
     Lui ne s’encombre pas les doigts d’encre, il se répand dans Le Monde, c’est autrement plus classe : Georges Collomb, ci-devant maire de Lyon, n’a pas que des défauts. Par exemple, membre du Ps, il n’aime pas Ségolène Royal : « elle a un côté Madone, Eva Peron ou télévangéliste qui n’est pas trop mon trip. » Son trip, à mon Collomb, ce serait plutôt en toute chose une modération lasse, une manière de Raymonbarrisme tout à fait dormitif : « je suis issu de la classe ouvrière, et je peux vous dire que son rêve n’a jamais été le grand soir », affirme-t-il sans sourciller. « Son rêve, poursuit l’édile, c’est simplement de progresser. » Elle est bien bonne, celle-là, de la pure lyonnaise. Enfin, et comme pour nous achever, Collomb livre sa vision, totalement tripante, de son boulot : « le but ultime de la politique, c’est que les gens voient ce qui a changé dans leur vie à la fin du mandat qu’ils vous ont confié. » Mouais. Et si ce qui a changé c’est : rien ? Alors le but ultime n’a pas été atteint, et on remettra ça pour six ans.
 
     Délaissons pour un temps le guignol lyonnais, et, une fois n’est pas coutume, allons jeter un œil dans les commissariats. Cette semaine à Juvisy (département de l’Essonne), on pouvait y croiser un enfant de trois ans, placé en garde-à-vue en compagnie de son père puis, au bout de vingt minutes, carrément séparé de lui. La presse de caniveau — de celle qu’on trouve dans le métro entre deux affichettes ronéotypées/collées/lues — se contente d’une brève à ce sujet, précise juste que l’enfant était « terrorisé », et que « contacté par l’Afp, le commissariat de Juvisy n’a pas été en mesure de commenter cette information. » Que le commissariat de Juvisy se rassure : elle se passe de tout commentaire.
 
                                                                                                 Fredo Ladrisse.
 

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