Un monde sans Leprest
Je me doutais qu’un jour il allait falloir vivre dans un monde sans Leprest. Dans un monde sans air, sans chanson. Aussi extravaguant que cela puisse paraître, ce monde est advenu. Plus d’amour, plus de guitariste, une solitude, seule en piste. C’est peu dire qu’à la suite de son départ suicidé ne reste qu’un gouffre, un abîme. Elles vont continuer de voler les sympathiques ritournelles, les chansons sans le sou, sans le souffle, où trouverons-nous les mots qui restent, ceux-là qui, en deux mots, s’en têtent ?
Leprest ? Connais pas. J’ai entendu vingt fois dans la bouche de gens sincères cette formule, ces derniers jours. Lui qui plaisantait d’être « le plus connu des chanteurs inconnus », ne serait pas étonné de cette non-gloire post-mortem. Et puis, comme de son vivant il mit un soin particulier à refouler le succès, à le tenir à distance tel un chien dérangé, il serait surprenant qu’il s’en préoccupe désormais. « Quand je serais mort, juste un bouquet rouge, des chansons et des gens qui bougent », chantait Allain, avec deux « L ».
Peu porté par les foules, et peu porté sur elles, Leprest était un homme de rencontres. Les yeux dans les yeux, là, on parle. On boit un coup ? Ce coco-là serrait la main à l’anar quand on se croisait, se marrait en m’embrassant les joues : fraternité, copains. S’il avait le sang rouge, accroché au folklore Thorez et fête de l’Huma, il n’était pas de ceux qui kolkhozent l’espoir. Je l’aimais, aussi, pour ça : la fulgurance avec laquelle il avait su saisir qu’on était, lui et moi, allongé sur le même versant de la même barricade. On a pourtant passé ensemble pas beaucoup de temps, quoi, quatre ou cinq soirées, nuits ? C’est peu, c’était il y a longtemps. Seulement, il vous faut savoir ceci : on apprenait bien davantage en passant quelques heures en compagnie d’Allain Leprest, qu’en la fréquentation multi-décennale d’abrutis.
« Ni dieu, ni maître, ni contremaître ! », aimait-il à me balancer de façon régulière. Depuis ce foutu quinze août et l’assomption athée d’Allain (« assomption piège à cons ! », aurait-il sûrement rigolé), nous n’avons plus que ses chansons, sa retraite, sa franginette, ou son café d’Omaha Beach. De ces chansons qui permettent de ne pas tout à fait étouffer dans un monde sans air. Lui s’en fiche, de savoir à quel point il manque, comme il fait nuit, déjà, sur un monde sans Leprest.
Et je l’entends d’ici gueuler « oh l’anar, eh oh, hein… Ça suffit bien maintenant, tu vas pas te mettre à chialer! ». C’est pas l’envie qui manque, Allain.
Fredo Ladrisse.
Ci-contre l'interview, paru dans le monde libertaire en 2005, à l'occasion de la sortie de son album "Donne moi de mes nouvelles" Interview d'Allain Leprest en 2005
Assomption, piège à cons
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Longue litanie bondieusarde en ce 15 août, ils ne nous lâchent plus, journaux, téloches, radios, entre JmJ de Madrid et autres assomptionnites aigües : à vous dégoûter, tiens, des weekends prolongés ! Ces têtes de cons tonsurés sont pas loin de nous gâter la joie d’un lundi pas bossé, tellement ça renifle la bure, ça schlingue grave la curetaille à l’hygiène peu sûre. Le service public n’est pas en reste, qui, vivant de nos fifrelins, n’en décida pas moins de déprogrammer Fort Boyard au profit, si j’ose dire, d’une retransmission live de la dernière niaiserie béni oui-oui de ce renfroqué d’Hossein, Robert. Vie de Marie et Evangiles, en direct de Lourdes, s’il-vous-plaît. Scandale ! Qu’on me rende mon chèque ! Au moins, qu’on envoie les mygales et autres cafards baveux au cul des apôtres, merde, qu’on balance la Marie au bout d’un câble, au-dessus des tigres adipeux! Mais rien de cela, non, rien qu’une messe, à dégouliner, et de trois heures et sur F3, un samedi soir à 20h30 ! Vous me direz : faut vraiment se faire chier pour mater la téloche le samedi soir à 20h30. Certes. Et donc ? J’ai pas le droit, peut-être, un 15 août, de m’emmerder ? La religion l’interdit ?
Ce que, visiblement, n’interdit pas la religion, ce sont les expulsions. Elles frappent, cet été, indistinctement sans-papiers, sans-toit, squats, campements, dont certains dits non sans humour « de fortune ». Exemple parmi d’autres, et au risque d’instaurer une habitude durable, il semblerait que les préfectures aient décidé de faire du mois d’août le mois d’ouverture de la chasse aux Roms. A Marseille, une centaine d’entre eux fut ainsi brutalement jetée sur le trottoir par… une centaine de Crs. Un flic par expulsé, pas moins, on sait jamais des fois qu’ils mordent. Mais qu’on se rassure, selon Gaudin, des solutions de relogements seraient à l’étude. Outre qu’on aurait pu attendre que ces « solutions » se concrétisent avant de balancer à la rue hommes, femmes et enfants, qu’il nous soit permis de douter de la bonne volonté du maire de Marseille, peu connu pour son empathie à l’égard des « estrangers ». « Tout ce qu’on nous a proposé est un terrain inhabitable, en bord d’autoroute, au fin fond d’une impasse », résumait le vice-président de la ligue des droits de l’homme. Belle générosité, Gaudin !
A l’autre bout de la France, non loin de la riante ville de Lille, le maire de La Madeleine (59110) n’y va pas par quatre chemins de ronde. Sébastien Leprêtre, c’est son nom —décidemment on en sort pas, de dessous la soutane —, vient de signer deux arrêtés municipaux résumés en ces termes : « interdit de mendier et de fouiller les poubelles. » Avant de les afficher aux quatre coins de sa ville, et histoire de bien se faire comprendre, il a pris soin de traduire les affichettes municipales en roumain et en bulgare. Et d’évoquer une « fouille systématique et organisée des poubelles », que ne supporteraient plus ses administrés. Lesquels administrés semblent soutenir l’élu dans sa noble croisade. Une habitante : « ils éventrent les poubelles et nous on paie les taxes la peau des fesses ! » La même dame, au langage fleuri, avoue ne pas aimer croiser «des femmes qui donnent le sein sur le trottoir. » Encore vous éviterai-je les longues jérémiades des habitants « exaspérés », « écoeurés », en un mot : au bord du pogrom. Seul le directeur d’une association locale d’aide aux Roms parait garder un peu de calme, et apporte un bémol de taille, rappelant que « 90% des Roms ne savent pas lire. » Bien vu, monsieur le maire, le coup des affichettes !
Voilà où nous en sommes, en la France rance de 2011, ce Clochemerle merdeux ne tolérant aucun écart eut égard au schéma du face de craie de souche. Mais qu’on se rassure, sous peu nous serons en 2012, année de la Libération, de la rupture avec la bouse, par la grâce des élections et d’un candidat (d’une candidate ?) socialiste, Espoir de la Nation Glorieuse. Prenons, tiens, au hasard, Hollande. Que dit-il des expulsions et de la chasse aux Roms, que dit-il de la crise du capitalisme, des cadeaux faits aux banques, du plan d’austérité qu’on va se manger grave dans les dents pas plus tard qu’à la rentrée ? François Hollande dit : « les Français sont en vacances, ce n’est pas le moment de les harceler. » Pfff. Vas-y, gars, continue à nous causer comme à des demeurés notoires, t’es en bonne voie, continue.
Sur la rive droite du fleuve de la politicaillerie boueuse on trouve, cette semaine, Balkany, campé droit dans ses bottes et moquant quelques détracteurs. Cette année, le maire-voyou de Levallois (92300) est arrivé premier du classement des députés les moins présents dans l’hémicycle. « Pointer la présence ou non des députés, comme celle des enfants à la maternelle, relève de l’enfantillage », plaisante le mauvais élève. C’est vrai, nous sommes des enfants. La preuve : nous continuons de voter et d’accorder notre confiance à de fieffés voleurs, fainéants de surcroît.
Restons un temps chez les voyous, et parlons de Broussard, vous savez : le vieux commissaire. Je dois au bougre un bon gros rire, lequel m’a secoué quand Broubrou-la-gâchette avoua sur les ondes aimer tout particulièrement l’émission démago-poujado-ringarde « Faites entrer l’accusé », et surtout « Navarro. » Wao. La preuve est faite, c’est par un beauf convaincu que fut abattu Mesrine —qui en était, peut-être, un autre. Un regret, cependant : Broussard n’a rien avoué de sa passion pour « Derrick ».
Je te l’enverrai faire un stage en Angleterre, le Broussard, moi, que ça trainerait pas ! Il pourrait y rendre des services, assurément s’y sentirai comme un poisson dans l’eau bien glauque de la pisseuse Albion. « Tolérance zéro pour les rats à capuche », lit-on en Une d’un tabloïd, à la suite des émeutes. Une autre de ces feuilles à merde titre, tout en nuance : « payez-vous un de ces salopards », formule accompagnée d’un numéro de téléphone spécial délation. Ça se déchaîne, donc, la populace lâche ses chiens avec l’assentiment d’un David Cameron pour qui « ce phénomène n’a rien à voir avec un quelconque problème de pauvreté, il s’agit d’une jeunesse qui ne sait plus distinguer entre le bien et le mal. » Amen, tout est dit, fermez le ban. Non, pas tout fait. Car il se dit, ici et là, que la désintégration sociale frappant de plein fouet certains quartiers — fermeture des centres sociaux, des services publics, des crèches, des bibliothèques,…—, ne seraient pas pour rien dans cette flambée soudaine. Ainsi, puisqu’un benêt collègue français lui demandait si il voyait une relation de cause à effet entre l’extension de la pauvreté et le phénomène en question, un journaliste anglais répondit, so british, que «c’est rarement les riches qui déclenchent les émeutes. » CQFD, n’est-ce pas.
Mais stop. Je viens d’apprendre le suicide de Leprest, d’Allain, avec deux ailes. Tout ce qui précède parait soudain… accessoire, déplacé, sans intérêt. Rien à dire sur Leprest, pour l’heure. Trop difficile, silence. On verra plus tard, certainement, ou on ne verra rien. Pour l’heure, silence, nuit en plein jour. Leprest s’est tué un 15 août. Tout en assomption, quoi.
Frédo Ladrisse.
Crise Mondiale, Voisins Vigilants et Constipation Nationale
Tirant tête hors du trou du sable des congés, qu’entends-je ? Sale temps dehors, sale temps pareillement sur le capitalisme financier qui n’en finit plus de faire sous lui, puisque fut dégradée, disent-ils, la « note des Etats-Unis » — jusqu’à lors, naïf, j’ignorais qu’une nation bâtie sur trois siècles de guerre et deux génocides, par ailleurs concomitants, mérita quelque chose comme une façon de triple A ! —, chiasseux donc puisque s’affolent les bourses et que les Chinois, à ce qui se murmure, seraient en passe de s’installer au poste de commande de la Phynance Mondiale. Diantre, ça en fouette donc dans les slips, et puisqu’on en parle, tiens, ils ont un peu de la chance : en camping le 14 juillet je suis tombé de ma chaise sans même être bourré me suis fêlé une côte et, sous antidouleur puissant durant près de trois semaines, me retrouve bide déglingué. Depuis, je ne connais la selle que par ouï-dire, ou quasi. On s’en tamponne, dites-vous ? N’empêche, tout est lié : même la perspective d’une récession mondiale ne m’a pas évacué l’intestin, c’est prouver à quel point me touche un peu, beaucoup, pas du tout, la perspective d’un éventuel effondrement boursier. Et mes contemporains idem : où sont-ils, les flots de vacanciers rejoignant précipitamment leur F2 de banlieue à l’annonce d’une baisse historique du CAC40 ? Si constipation il y a, c’est peu dire qu’elle est nationale.
« Si l’Italie saute, nous sautons », alarme pourtant Minc-le-Maudit. « Les spasmes qui agitent les marchés, eux, sont irrationnels. » Le très rationnel Minc, politicoéconomicoflatologue préféré des classes dirigeantes toutes tendances confondues, est connu pour s’être trompé à peu près neuf fois sur dix depuis 1954 — « si ce type présentait la météo à la télé, il y a belle lurette que les Français l’auraient pendu », aurait eu coutume de plaisanter le président Coty. Pour autant, il convient de tenir compte des prévisions bidons de cet oiseau de mauvaise augure, car elles annoncent toujours l’orage qui, plus tard et dans pas longtemps, nous tombera sur le coin du pif: « tout l’enjeu est de définir une politique de rigueur socialement juste et acceptable », conclue Minc au sujet de la France. Autrement dit de poursuivre voir d’amplifier la casse des régimes sociaux, mais sans pour autant susciter de ces poussées de mécontentement telles qu’on en voit en Grèce, en Espagne et ailleurs. Quadrature du cercle, pour le Sarkozystan : comment profiter de la crise, formidable fenêtre de tir permettant de parachever la contre-révolution conservatrice et libérale, sans pour autant, l’année prochaine, perdre les élections. Abusus non tollit usum*, comme disent les cons.
Mais puisqu’elles sont encore loin, ces foutues élections, édiles et représentants de l’Etat peuvent encore, et comme chaque été, déchaîner leurs passions en matière d’expulsions de squats, de chasse aux sans papiers et autres fermetures de centres d’hébergement. L’été n’est pas en pente douce, pour les populations visées. Mieux, profitant de la torpeur des cerveaux ramollis par l’eau, voilà-t-y pas qu’on s’en reprend au Rap. Le bien nommé Michel Raison, député Ump de Haute-Saône — un département dont on sait qu’il demeure le bastion des rappeurs les plus ultras —, compte s’en prendre à, je cite « certains groupes de musique Rap issus de l’immigration. » Puis demande, sans sourciller, au ministère de la culture quelles « mesures ont été prises pour censurer ces chansons et mieux contrôler leur diffusion. » Entendons-nous bien : ne sont visées ici que les œuvres de créateurs « issus de l’immigration » : Raoul Boulard, MCRobert n’ont donc pas à craindre les foudres de ce monsieur Raison. Qu’il faut savoir garder : n’est-il pas le dernier rempart avant la déferlante rappeuse et « immigrée » qui, à coups-sûrs, menace Vesoul de ses gros mots?
Si la peste Hip-Hopesque devait, malgré ses efforts, s’abattre sur la préfecture, le député pourra toujours s’en remettre aux « Voisins Vigilants ». Kézako ? Les VV sont des regroupements de citoyens vertueux circulant dans certaines villes, ayant pour objectifs de « faire diminuer les cambriolages, les escroqueries, les dégradations et les incivilités. » Evidemment ces braves voisins sont non seulement formés mais également sont en contact permanent avec la police locale. Mieux, et malgré quelques expérimentations qui sont loin d’avoir fait leur preuve —faut croire qu’on n’est pas, pas encore, près à se fliquer les uns les autres —, une circulaire du ministère de l’Intérieur prévoit d’étendre le dispositif à l’ensemble du territoire. Les volontaires seront alors officiellement transformés en « collaborateurs occasionnels du service public », un statut qui ouvre droit à rémunération… On les imagine d’ici se ruer sur le formulaire, tous les SuperDupont de canton ! Puis, « collaborateurs », comme dit dans la circulaire, ça en jette n’est-ce pas, ça rappelle de furieux souvenirs. M’est avis que si la Milice avait porté le doux nom de Voisins Vigilants, elle n’aurait pas connu le funeste sort qui fut le sien.
Puisqu’on traîne chez les néo-nazes, restons-y un instant : en voilà qui ont le vent en poupe, les DP. DP, pour Droite Populaire. Autant le dire tout de suite, ces gens sont aussi populaires que le NSDAP était, par exemple, socialiste. Ce ramassis de frontistes contrariés et/ou honteux, a naturellement trouvé refuge au sein du Sarkozystan-pour-mille-ans. A la droite de l’Ump, donc. Et c’est rien de dire que la poignée de furieux qui l’anime profitent des vacances des Juppé Copé et consorts pour squatter les Unes et les ondes. Voyez Mariani, le ministre, l’homme qui entend déchoir de la nationalité française « les auteurs de certains crimes » (sans autres précisions, bien sûr) : le voilà désormais qui défend l’idée d’un fichage généralisé des allocataires sociaux, « pour lutter contre la fraude. » Il n’en dort plus, le bougre, depuis qu’il a appris que « les profiteurs peuvent toucher indûment le RSA dans plusieurs départements. » Que la fraude aux allocations ne concerne qu’une infime partie de leurs bénéficiaires, cela Mariani s’en tape. De même, que des dizaines de milliards d’euros, impôts dus par les entreprises et de très riches individus, échappent chaque année au fisc, ne trouble guère son sommeil. Non, il ne doit ces insomnies qu’à ces satanés « profiteurs », ces salopards du RSA. Il y a urgence, donc, si tant est qu’on veuille relever les Phynances de la France, à ficher tout ce beau monde. En attendant de les voir dénoncés, avec diligence, par quelques Voisins Vigilants.
Autre dingo de la Droite Populaire, Lionnel Luca, député, commentait en ces termes l’attentat d’Oslo : « le premier responsable de ce climat délétère [sic !], c’est l’islamisme. C’est lui qui a crée l’islamophobie. » Dans l’esprit perturbé de celui qui, naguère, fut un des premiers membres du RPF de Pasqua-Villiers, nul doute qu’islam se confond avec islamisme. Né quelques décennies plus tôt, ce populo-droitiste nous aurait sans doute expliqué que les premiers responsables du « climat délétère » qu’on appelle Shoa, c’était les juifs eux-mêmes.
Pour finir, revenons un moment sur Thierry Mariani. C’est que l’interview est cocasse, et le bonhomme non moins. Après avoir défendu le projet de ficher 85% de la population —comme si ce n’était pas déjà fait —, il termine par cette sottie, concernant les présidentielles : « Hollande n’a pas la carrure d’un chef d’Etat. Quand il se montre sur sa mobylette… Un président de la république ne peut pas être quelqu’un de normal. » S’il n’y avait que lui.
Frédo Ladrisse.
* «L’abus n’empêche pas l’usage »
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