A l'assaut des glacis
Photo de Daniel Maunoury*
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? « Aucune faute professionnelle » n’a été commise par l’assassin de Rémi Fraisse, gendarme de son état. C’est écrit, noir sur noir en ce deuil cette fois de papier qu’est le rapport de l‘inspection générale de la gendarmerie nationale. Certes, il est admis que « cette mort est imputable au tir d’une grenade offensive », et donc ? Circulez, y’a rien à reprocher. Savent-ils, ces inspecteurs des travaux mortifères, qu’ils délivrent-là, par leur prose, un véritable permis de tuer ? Qu’ils feignent ou non de l’ignorer, ils se rendent pareillement complices des flashballisations, blessures, mutilations, tirs meurtriers à venir. Car une certitude plane sur les champs de batailles version zadiste ou suburbaine : l’affrontement, qui ne commence pas aujourd’hui, ne peut aller qu’en s’accentuant. Par cet assassinat, sa nature incompréhensible, son apparente gratuité, l’affrontement accède brutalement à une dimension autrement plus sauvage. A-t-on, dans l’autre camp, réellement mesuré ce qu’implique ce rapport en termes d’insulte faite au mort, de crachat sur son cadavre ? Le rapport était prêt, chaque virgule pesée, soupesée, de long temps. Il suffisait d’attendre que la contestation fasse mine de se dégonfler, que les combats de rue à Nantes, à Toulouse, Rennes, baissent en intensité. Tout à l’urgence qu’il y avait à couvrir l’assassin et au-delà la chaîne de commandement et au-delà le préfet et jusqu’au ministre de l’intérieur, les autorités ont alors brandi leur Rapport, pensant éteindre un feu qui, de toute éternité, n’en fini plus de couver. C’est que, nous, sommes doués de mémoire, et conservons intact le souvenir des morts et des luttes. Et tandis que Sivens ou Notre-Dame des Landes ne lâchent rien sur le fond, d’autres ZAD émergent, ici et là, authentiques et ancrées dans le réel des territoires, quand bien même elles sont à leur tour frappées par la censure merdiatique. Ailleurs s’échafaudent, en toute persévérance, d’autres résistances telles les PAD (Places à Défendre, version citadine des ZAD). Celles de Rennes et de Rouen, vaines tentatives selon les flics, n’étaient que des tests, grandeur nature. Ces campements de plein jour, dont l’idée centrale, le pilier, consiste en une entière et totale visibilité, une inscription de fait dans le « paysage urbain » devenu espace libéré, nul doute qu’ils vont essaimer dans les villes, petites, moyennes et grandes, vont éclater tels des bubons sur l’épiderme des centres urbains que d’aucuns rêvent d’aseptiser, de figer à jamais sous le glacis des bulles muséales-commerciales. Loin des manifs planplan, éphémères démonstrations de notre propre impuissance, au-delà de squats et des espaces autogérés par trop repliés sur-eux-mêmes, ces PAD (quel que soit le nom qu’elles se donneront), dans six mois, dans dix ans, signeront le retour du Sauvage, de l’énergie vitale, au cœur même des cimetières piétonniers, « pacifiés », pompeusement nommés centres-villes. L’affrontement, sous des formes variées, la résistance aux pulsions de mort incarnées par la gendarmesque, les juges, les huissiers, les élus et leurs électeurs, y sera quotidien au même titre que l’invention permanente de nouvelles solidarités. Ce qui se passe, en ce moment même, à Athènes (1), préfigure peut-être ce qui se passera, demain, sous nos fenêtres. En cette période de voeux iniques et autres galéjades calendaires, c’est tout le mal que nous nous souhaitons.
Frédo Ladrisse.
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