"Hommes/femmes politiques, journalistes au petit pied, philosophes du dimanche ou stars à la ramasse: tous sèment des perles de bêtise, sans se douter que, dans l'ombre, l'autruche les note, les commente, s'en gausse, et recrache le tout sur ce blog."

Novembre 2014

CRISE ET CHUCHOTEMENTS


Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? « Les grenades offensives dites F1 sont enveloppées d'une fine couche de métal. Elles contiennent du trinitrotoluène (TNT) qui provoque une puissante déflagration et ont pour objectif de regagner du terrain face aux manifestants » (source : Le Figaro, 29/10/2014). « Si il s’avérait que la mort du jeune manifestant a été causé par le tir d’un gendarme, vu l’extrême tension qui régnait, cela ne saurait en aucun cas être considéré comme une bavure » (Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, à l’assemblée nationale le 30 octobre). « Dans ce contexte précis, je n’accepterai en aucun cas que le comportement des forces de police soit mis en cause. En aucun cas !» (Manuel Valls, premier ministre, même lieu, même jour.) Cris d’orfraie d’un gouvernement paniqué puisqu’ici confronté à une situation que nous n’avions pas connu depuis 1986 et la mort de Malik Oussekine ? Même pas. C’est, en réalité, que l’occasion est trop belle pour les socialistes « à poigne » de montrer qu’avec eux aussi ce n’est pas la rue, pas les champs, pas les grenouilles qui gouvernent ! Dans les allées ministérielles, les chuchotements en temps de crise évoquent un lien entre le mort et « l’utragauche », un genre de nouvelle affaire de Tarnac, vous voyez, monsieur le conseiller ? Si la réalité se contentait de répondre aux vœux de la police, la vie serait plus simple.
     A défauts de réalité, c’est Xavier Beulin, président de la FNSEA, qui reprend à son compte le schéma manifestants=casseurs=terroristes. Pour cet homme d’affaires de l’agroalimentaire dont de lointains ancêtres furent de vrais paysans, «  l’opposition au barrage de Sivens a généré des djihadistes verts. » Cerise sur le gâteau au purin : « je me suis toujours battus contre les Khmers rouges, je ne plierai pas aujourd’hui contre les Khmers verts !»  L’amalgame facile et usé jusqu’au trognon commande de répéter que les Khmers rouges, leur régime, sont tenus pour responsables de 1,7 millions de morts, en l’espace de quelques années.
     Dans les jours qui suivirent l’assassinat de Rémi, se multiplièrent à Rennes, Nantes, Toulouse, Paris, des rassemblements et manifestations systématiquement interdits et qui, sous prétexte de quelques vitrines bancaires, feux de poubelles et autres « violences gravissimes », connurent gazages, charges violentes, matraquages, arrestations gardes à vue et condamnations. Réponses disproportionnées s’il en est, face à des attroupements rassemblant, la plupart du temps, quelques centaines de manifestants. Serait-ce alors que notre national police, nos si doux gardiens de la paix, auraient la trouille au cul ? Dimanche dernier, à Paris, place de Stalingrad, les gendarmes mobiles s’étaient déplacés en surnombre. Impressionnant déploiement de robocops armés telles Forces Spéciales en les rues d’Alep. C’est qu’ils savaient ne pas se trouver pour une fois en face de gentils lycéens et leurs danses coude-à-coude en mode kermesse, ni frêles écolos persuadés qu’un sit-in empêchera la violence parce que la violence « c’est pas bien », mais à des lycéens furieux, animés d’une rage nouvelle puisque, en ce qui les concernent, confronté à cette aberration : un jeune garçon de 21 ans tué par la police lors d’une manifestation. Pareille aberration avait semble-t-il transformé les gentils écolos en militants conséquents et ayant appris qu’un des leurs pouvait tout aussi bien, sit-in ou pas, se faire tirer dans le dos comme un vulgaire lapin. Ça flippait donc chez les gendarmes, plus mobiles  à coups-sûrs que jamais, un peu en panique pour tout dire, cavalant d’un point à un autre au gré des ordres hurlés dans les oreillettes de combat. Chez ces militaires chargés du maintien de l’ordre à Sivens, à la ZAD de NDDL ou dans les rues de nos villes, ça suait d’autant plus sous les casques et dans les slips réglementaires que, bien évidemment, face à eux, extrêmement déterminés, se tenaient militants radicaux, autonomes, black blocks et autres groupuscules formés à la baston frontale contre les robocops, et à la guérilla urbaine. Ceux-là n’étaient pas venus pour crier leur colère et réclamer la fermeture du barrage de Sivens. Ils étaient là pour faire comprendre à la criminelle gendarmesque qu’on était face à eux, tout prêts, armés, et que cette fois fini les gentillesses, fini les bouquets de coquelicots, même rouges. Lors de ces rassemblements ce fut un réel bonheur de voir ainsi la peur, si ce n’est changer de camp, du mois également partagée entre flics et manifestants. Autre motif de satisfaction, bonne surprise et bel enthousiasme : entendre les slogans ACAB («All Cops Are Bastard », déclaration d’amour de renommée mondiale, Londres, Rio, Tokyo…), ou « Police violence, Black Block résistance ! » repris en cœur et avec une belle énergie par de « pacifiques » étudiants, des écolos sans tongs mais visages couverts, des citoyens lambda, Place de Stalingrad, à Paris.
     Autre origine de cette peur constatée chez les porteurs de flash ball et blindés de ceintures à grenades : l’injonction contradictoire qui leur avait été faite de dégager sans ménagements les manifestants, d’éviter que ne s’enkyste le mouvement à travers des campements sur la voie publique, tout en veillant surtout, SURTOUT, à ne provoquer aucune autre mort, même suspecte, et qui là aurait comme effet immédiat de soulever, du même haut-le-cœur, non seulement la jeunesse mais l’ensemble de la population. L’urgence est donc de tuer dans l’œuf un mouvement qui, lui, vise à s’inscrire dans la durée  (à l’inverse du rassemblement familial faite pour « marquer le coup », organisé au Champ de Mars le même jour que le rendez-vous, plus chaud, de Stalingrad.
     Autre type d’action marquant elle la volonté d’inscrire le mouvement dans la durée : une tentative d’occupation avec tentes, cantine, matelas, bâches, lieux collectifs, assemblées générales, eut lieu à Rouen. Au bout de trois petits jours le campement était « nettoyé », lacrymé et chargé par des gendarmes peu avenants, suivis de près par les pelleteuses et les bennes à ordures… Même si Rouen n’est pas Istanbul, les exemples d’occupations en Turquie, à Madrid, en Grèce ou aux Etats-Unis ont étés scrutés de près par le monde politique et les commandements policiers. La sentence est tombée, martiale : pas de ça en France ! A condition de ne pas leur laisser le temps de s’étendre, ces campements en plein cœur des villes sont faciles à « neutraliser » : expérience vécue également par « les Insoumis », qui tentèrent d’occuper la place de la Bastille il y a quelques années.
     Occupations de lieux symboliques et visibles par le plus grand nombre, sur plusieurs mois voir, soyons fous, sur plusieurs années, sont donc la hantise des sphères politico-policières (l‘exemple des ZAD actuelles, qui ont su résister, tenir, s’organiser, communiquer, est donc admirable en tout point). Ces lieux seront, partout, âprement combattus parce qu’au-delà des retards occasionnés dans les constructions décidées par ceux-là même qui en espèrent de subséquents subsides, ces espaces permettent l’émergence de pratiques alternatives en matière de vivre ensemble, de prise de décision, d’échanges, de réflexions partagées, autant de choses que ne permettent pas les traditionnelles manifs et autres réunions de quartier, du moins sur le long terme. Plus efficaces que les grèves car moins institutionnalisées, impliquant toute catégorie de la population, de petits rassemblements pourraient donc  se transformer en occupations permanentes, menaçant le pouvoir en résistant à ses clébards uniformés, le menaçant plus encore en permettant à qui veut de venir constater, sur place, que l’autogestion, l’horizontalité en matière de prise de décision, la rotation des tâches, bref : qu’une bonne partie du modèle social et politique proposé par les anarchistes part de pratiques concrètes, construites et parfaitement réalisables, ici et maintenant (que celles et ceux que gênent encore le mot « anarchiste » parce renvoyant aux bombes, attentats, désordre et autres lieux communs, ne se privent pas pour lui substituer celui d’autonomie, de démocratie directe, de résistance au capitalisme). Une chose est cependant certaine : pour le pouvoir en place, le  véritable risque est là, dans la remise en cause de ce qui fonde et soutient sa pseudo légitimité, hiérarchisme, prévalence de l’autorité, main mise sur l’information, dictature du vote et de la représentation privant de parole et d’actions les électeurs citoyens tout le reste du temps.
     Militaires déployés dans les rues de nos villes, élus soucieux de ne pas voir leurs prérogatives questionnées dans des campements installés sous leur fenêtre, ferait bien également de se précipiter sur le dernier ouvrage du Comité Invisible, « A nos amis », éditions la Fabrique, 10 euros. Ils y apprendraient qu’une «insurrection peut éclater à tout moment, pour n’importe quel motif et dans n’importe quel pays et mener n’importe où », jusqu’ à la révolution ? Oui. Ils en retiendrons surtout que la plupart des révolutions n’ont pas pour origine de vastes mouvements de foules, le ralliement de l’armée, la fuite des dictateurs mais des événements à priori sans importance dans le déclenchement des insurrections qui suivront : en Tunisie, l’immolation d’un petit vendeur de fruits et légumes ; à paris, la démolition symbolique d’une prison désaffectée par un petit groupe déterminé, un 14 juillet. La mort d’un manifestant inoffensif mais impliqué dans la lutte contre l’édification d’une retenue d’eau dans le Tarn ? Possible. L’intensité que provoquera cette goutte d’eau tombée dans le barrage, onde, vaguelette ou tsunami, cela nul ne le sait encore. Cependant, historiquement, le taux de remplissage des vases prêts à déborder sont toujours sous-évalué par la noblesse d’élections, les petits marquis sortis des urnes.
     A nous, dès lors, d’inscrire dans la durée ce vaste mouvement, de perpétuer ce cris que les médias officiels se sont empressés de ranger dans les armoires à chuchotements. Excellents paravents, pensent-ils : une nouvelle baston au plus haut sommet de l’Ump, Nabila qui va en prison sans passer par la case départ. Qui c’est qui ment ? Sarko, Fillon ? Surtout, qui qu’a balancé l’autre? Peut-être le même corbeau révéla également le mauvais cinéma de l’ex-future starlette ayant poignardé son boy friend ?
Suspense… Qu’en aurait pensé Remi Fraisse ?   
  
                                                                                                Fredo Ladrisse.

 

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