"Hommes/femmes politiques, journalistes au petit pied, philosophes du dimanche ou stars à la ramasse: tous sèment des perles de bêtise, sans se douter que, dans l'ombre, l'autruche les note, les commente, s'en gausse, et recrache le tout sur ce blog."

Girardot les chocottes

Girardot les chocottes

 
 

Un jour il y a un paquet d’années j’entre dans un bar rue Saint-Georges. Au comptoir, je commande un demi, sans prêter attention à la vieille assise à une table, à trois mètres de moi. Elle sirotait sa Carlsberg une cigarette en main, portait des lunettes noires à grosse monture, et moches. Elle a commandé une autre bière. En la servant le garçon a demandé « ça va ? » « J’ai les chocottes », a dit la vieille. Cette voix. Je lui tournais le dos à ce moment-là, mais par sa voix je l’ai reconnue. Girardot, à trois mètres de moi. Elle jouait au théâtre Saint-Georges, de l’autre côté de la rue, une pièce dont j’ai oublié le nom. C’était le soir de la Première, « j’ai les chocottes », elle disait. Je suis resté planté comme un con, accoudé au comptoir, à la mater en douce sans même imaginer m’approcher d’elle, oser deux mots. Ne pas la déranger, ne pas la gêner ne pas jouer les lourds, en cet instant particulier. Je me souviens que la main, qui tenait la cigarette, tremblait.
     Elle a sifflé son verre puis elle s’est en allée. J’ai acheté du papier à lettre et une chouette enveloppe rouge, et je lui ai écris. En insistant pour que l’enveloppe lui soit remise en main propre j’ai laissé, à la caisse du théâtre, ceci :
     Madame,
Je vous ai aperçu au café tout à l’heure, et je crois que vous aviez peur. La peur m’a pris moi aussi, je n’ai pas osé vous parler, par crainte de vous importuner. Peu importe : à distance, vous étiez belle d’intensité, et de cette sincérité qui vous est toute personnelle. Ce mot pour vous dire, Madame, de ne pas trop vous inquiéter : je serai ce soir, comme toujours, et comme à jamais, dans la salle.
J’ai signé : le public.

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